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Une fiction - Coraline

Dernier texte de la série des Ateliers d'écriture créatrice, voici une nouvelle écrite au cours des dernières semaines.  Elle comporte probablement son lot d'incohérences puisqu'aucune recherche n'a été effectuée en vue d'authentifier certains passages au sujet de diverses procédures légales, immigration, constat de décès ect.  mais comme c'est juste pour le fun et aucunement pour publication, ça va rester comme ça.

C'est pas un sujet rigolo, loin de là et je ne sais vraiment pas pourquoi il s'est imposé à moi.  J'ai aussi tenté de faire une Québécoise de mon personnage, sans succès, ça voulait pas.  J'ai même voulu tout mettre au panier, parce que tannée de me relire et de trouver ça tellement glauque en contraste avec l'été lumineux qu'on vient de venir. Bref, ce n'est pas une histoire que j'aime mais elle est là.  

Je vous laisse en penser ce que vous devez...


Coraline 

     C’est juillet.  Dans l’air chaud de ce matin tranquille, Coraline se prépare un café.  Tout est calme, il n’y a aucun bruit.  On entend seulement le gloussement des gouttes caféïnées qui s’écoulent dans la cafetière.  La tasse est presque pleine.  Coraline y ajouterait bien une bonne cuillérée de sucre brun, paraît que c’est meilleur que le sucre blanc.  Une lampée de crème à saveur de noisette aussi, mais elle n’a plus les moyens de s’offrir ces petits luxes qui faisaient partis de sa vie il n’y a pas si longtemps.  Elle apporte son breuvage brûlant avec elle sur le balcon de son petit logement près du métro Rosemont et s’installe à la table de fer forgé à la peinture écaillée.  Un érable tricentenaire lui cache le béton environnant.  Elle se perd dans le bleu profond de l’aube qu’aucun nuage n’entache. 

     Il n’est que 5 heures du matin et elle attend que son bébé s’éveille.  Sans raison, elle est debout avant l’aube. Elle ressent un malaise qui persiste depuis son réveil.  Impossible de se rendormir. Ses seins sont engorgés.  Ça lui fait très mal.  C’est la première fois depuis les premiers jours suivant la naissance de Maxence que ça fait mal comme ça.  Une vague impression de ne pas avoir nourri le bébé pendant la nuit, mais c’est impossible, voyons!  Le bébé serait en crise en ce moment même, impatient d’être nourri.  C’est une question de minutes, la calme ne durera pas.   Autant en profiter et ne pas s’inquiéter.  Elle tente de s’intéresser au livre de poche qui traîne sur la table, mais relit, pour la troisième fois, les premières lignes du chapitre 4 : « Voici Nicolas ! s’écria Alise. – Et voilà Isis ! » dit Chick. »i Repliant le coin de page à l’endroit même où il l’était auparavant, elle laisse tomber le livre sur la table avec irritation, incapable de la moindre concentration.

     Les voitures commencent à circuler sur le boulevard et leurs vrombissements est agressant.  Coraline ramasse sa tasse et, toujours le livre à la main, se dirige à l’intérieur, vers un sofa défraichi.  Elle referme doucement la porte du balcon.  Le bébé est toujours silencieux. Coraline, épuisée par ce premier mois de maternité, profite de ce calme inattendu.  Sa petite Maxence est une enfant nerveuse, tout comme elle.  Elle pleure fréquemment et la calmer prend énormément de temps et d’énergie.  Coraline se sent à bout.   Elle n’a pas le courage de réveiller la petite pour son boire matinal, pas tout de suite.  L’infirmière du CLSC a bien tenté de tourner cette agitation en qualité, disant que c’est un signe de vivacité d’esprit, d’un éveil précoce, en vain.  Coraline a parfois l’impression que sa petite est possédée par le diable.  Le but ultime du bébé est de la rendre folle à force de pleurs hystériques.  Il n’y a rien d’évident à se retrouver du jour au lendemain à vivre avec un petit corps collé à soi jour après jour sous peine de cacophonie hurlante.  Elle tient tout l’immeuble en éveil, aucun doute là-dessus.  Coraline est convaincue qu’elle est une très mauvaise mère.  Et aussi une très mauvaise personne.  Si elle était meilleure, sa fille ne pleurerait pas si souvent, ni si fort. Si elle était meilleure, son chum serait encore avec elle.   Si elle était meilleure, ses parents ne l’auraient pas rejetée.  Si seulement elle était encore en France…



⁂ 

     —Carmen, c’est toi qui passe voir la petite Française du boulevard Rosemont aujourd’hui?, demande Rita,  une infirmière du CLSC du quartier.

      Le dernier rapport mentionne de l’anxiété, un peu de confusion et une possibilité de dépression post-partum.   La jeune femme est totalement isolée, elle a coupé les ponts avec ses parents qui désapprouvaient son choix de partenaire ainsi que son départ pour le Canada.  Ils n’avaient pas tort, le père est parti deux jours après l’accouchement et n’a pas donné de nouvelles depuis. 

     —Oui, je devrais arriver chez elle vers 15 heures.  J’aime ça finir ma journée avec cette petite maman, c’est proche de chez moi.  Ça me permet d’arriver plus tôt à la maison.  Je suis certaine que je vais la convaincre de s’inscrire au programme ‘Mère nouvelle’ pour la prochaine session.  Elle semblait assez réceptive quand je lui en ai parlé il y a deux semaines.  Elle m’a aussi promis de faire ce qu’il fallait pour régulariser sa situation.

     —J’espère qu’elle va s’inscrire!  De la manière dont ça va là, elle pourrait avoir ben de la misère, la pauvre petite!  Je ne comprendrais jamais les parents qui mettent à la porte leurs ados enceintes, comme si ça allait régler quelque chose, effacer la grossesse, ramener tout comme avant!  C’est là où elles ont le plus besoin de support et ceux qui devraient les épauler s’effacent parce que leur fierté en prend un coup?  Tellement indigne et stupide! Et celle-là, amoureuse d’un gars de passage dans sa ville et qui part avec lui s’exiler à Montréal à 17 ans, faut quand même le faire!  Si c’était ma fille, je te jure que je l’aurais suivie de près!

     —Ouen, mais on ne connait pas leur histoire, on ne sait pas le début du commencement de leurs problèmes et c’est pas ta fille!  C’est pas à nous de juger des actions de chacun.  Moi je fais de mon mieux avec ce que j’ai sous les yeux, soit une jeune fille isolée qui vient d’avoir un bébé et qui ne s’imaginait pas pantoute les responsabilités qui venaient avec.  Mon rôle est de lui donner de l’information sur nos services, de m’assurer que le bébé va bien et la mère aussi, de lui créer un réseau d’entraide pour les besoins quotidiens, pas de la materner et ni de juger ses parents.  Si je vois que ça va pas, je vais en informer les autorités, inquiète toi pas de ça!

     Les deux femmes se tournent le dos, mal à l’aise d’avoir des opinions divergentes.  
Carmen, un peu honteuse de son ton sec, attrape son porte-documents et se dirige d’un pas mal assuré vers la sortie, sans dire au revoir ni sourire à sa collègue. 


⁂ 

     Coraline est étendue sur le vieux sofa vert, les yeux dans le vague.  Son restant de café est froid depuis longtemps.  Ses seins sont douloureux, mais elle ne va pas réveiller Maxence, pas encore. Elle se réjouit de ce moment de répit et appréhende presque le réveil du poupon.  Elle pense à tout ce qu’elle devra faire au cours des prochaines heures avec le bébé accroché à sa poitrine ou tenu dans le creux deson bras.  Elle aimerait bien trouver un porte-bébé dans lequel elle pourrait sécuriser l’enfant et le porter sur son abdomen toute la journée, tout en ayant les mains libres.  Elle pourrait chercher un grand fichu et le nouer mais c’est stressant quand on ne sait pas vraiment comment faire.  Si eulement elle n’était pas partie si loin de chez elle, si seulement ses parents n’étaient pas si nuls!  Elle mesure l’ampleur de sa solitude et un tremblement la saisit.

     Elle se souvient d’un conseil de l’infirmière visiteuse au sujet des seins douloureux… une bonne douche chaude devrait la soulager.  Elle se lève du sofa et étire son dos ankylosé.  Son soutien-gorge d’allaitement, trouvé dans une friperie miteuse, est détrempé, le lait s’écoule de ses mamelons mais pas assez pour remédier à la sensation d’engorgement si désagréable.  Elle se penche sur le berceau usé de Maxence, don d’une connaissance du papa enfui, et n’ose pas toucher l’enfant de peur de le réveiller.  Maintenant qu’elle a décidé de prendre une longue douche chaude, ce serait bien bête de devoir tout reporter à plus tard pour cause de bras occupés à materner.   

     Coraline éprouve une grande tendresse à regarder sa fille, tendresse à laquelle se mêle une curiosité inquiète. Cette minuscule inconnue sait si bien lui gâcher la vie depuis sa naissance. Elle ressent un remord à la vue d’une égratignure sur la joue du bébé.  Le sang séché a laissé une mince balafre de couleur rouille sur la peau pâle.  Coraline revoit la scène.  La veille au soir, très tard, quelque minutes après avoir finalement déposé sa fille endormie à coup de tétées et de promenades sans fin en va et vient dans le couloir de l’appartement, un geignement s’était fait entendre.  C’en était trop.  Elle s’était énervée et, tenant l’enfant à bout de bras, elle l’avait quelque peu secoué en le suppliant de se taire.  Elle s’était vite reprise, mais cette perte de contrôle l’avait terrifiée.  Que devenait-elle?  En reposant le bébé sur le matelas, elle avait vu la griffure sanglante sur la joue et pensé que demain elle devrait lui tailler les ongles.  Et surtout ne plus agir de la sorte, mais ça, elle osait à peine le penser tellement elle se sentait honteuse. 

     Après un dernier coup d’œil à l’enfant toujours assoupi, Coraline se dirige vers la salle de bain crasseuse.  Elle n’a pas le temps de nettoyer comme elle le devrait.  Dès son réveil et ce à tous les jours, le bébé l’occupe toute entière sans jamais lui laisser de répit.  Il y a bien quelques moments ici et là au cours desquels elle tente de récupérer les heures de sommeil perdues, vainement.  Elle retire ses vêtements maintenant trop grands.  Elle porte toujours les tenues de maternité, son budget ne lui permet pas de se refaire une garde-robe adéquate.  Elle n’a vraiment pas le temps ni l’envie de sortir  
acheter des vêtements.   Il ne lui reste pas beaucoup sur les économies qu’elle avait accumulées avant son départ.  De quoi tenir deux ou trois mois, mais ensuite, il faudra quitter le logement car elle ne pourra plus payer le loyer, surtout maintenant qu’elle est seule.  Elle doit aussi tenter de prolonger son permis de séjour, faire une demande de visa pour le travail, ou peut être comme étudiante mais elle n’a aucune idée des démarches à entreprendre.  Pas question qu’elle retourne en France sans avoir au moins essayé de s’établir ici.  Si seulement Philippe ne l’avait pas laissé.  Mais le bébé, c’était trop pour lui.  Entre trois bières et un joint, sa fibre paternelle s’était tout à fait perdue et son sentiment amoureux n’avait pas tardé à s’effacer devant les nombreux besoins d’un petit être d’à peine 2 kilos. À cette pensée, Coraline fond en larmes.  L’eau de la douche peine à se réchauffer et elle frissonne en serrant ses bras sur sa poitrine énorme.  Tant est à faire, toute seule et si loin de tout ce qu’elle connait!  C’est trop, elle n’y arrivera jamais!


⁂ 

     L’eau parvient enfin à un degré de chaleur convenable.  En exerçant une pression sur ses seins trop gonflés, elle parvient à éjecter une quantité de lait impressionnante.  Elle ressent un certain soulagement, la pression interne se trouvant amoindrie. Elle commence à se résoudre à l’idée de troubler le sommeil de Maxence.  Une nuit complète, malgré un début tardif, c’est tout de même impressionnant.  Elle hésite, cette quiétude, cette tranquillité est une rareté pour elle depuis un temps qui semble infini.  Parfois, la fabrication d’un simple sandwich demande un temps fou entre les pleurs du bébé et les siens.  Elle a maintenant peur de perdre patience comme hier soir, de faire du mal à ce petit être sans défense qui n’a que ses cris pour signaler un inconfort incompréhensible pour la nouvelle maman.  Coraline se sèche rapidement, se sentant tout à coup très inquiète.  Elle s’enroule dans une vieille sortie de bain en chenille rose passé et court vers le lit du bébé.  Elle est frappée par le silence qui l’entoure soudain, la sensation glaciale qui l’envahit, la grisaille de la chambre qui contraste tellement avec le bleu franc du ciel.  La petite Maxence semble toujours endormie, couchée sur le côté, le bout de son majeur et de son annulaire disparaissant entre ses lèvres légèrement bleuies.  Aucun son ni mouvement de succion n’accompagne ce tableau autrement charmant.  Coraline se penche sur le berceau et soulève sa fille dans ses bras. Son petit corps est froid et ses jambes raidies ne se détendent pas.  Aucun souffle ne s’échappe de sa bouche et ses yeux sont mi-clos.  Coraline s’assoit par terre contre le mur et installe le bébé comme elle le fait à chaque tétée.  De grosses larmes roulent sur ses joues. 

⁂ 

     L’après-midi tire à sa fin quand Carmen monte l’escalier menant chez la jeune fugueuse.  Elle est reçue par une Coraline en pleurs, tenant son nourrisson inerte contre son sein et s’exprimant dans la confusion la plus totale, sa voix s’étranglant dans des sanglots déchirants : le lait qui fait mal, l’amoureux disparu, les parents en colère, le bébé qui ne pleure plus.  Il lui faut un moment avant de réaliser le drame qui se déroule sous ses yeux et c’est dans un état proche de la panique qu’elle communique avec les services d’urgence qui mettront un temps fou à arriver.  Les pompiers, premiers répondants,  n’auront aucun mal à constater le décès de la petite Maxence, sans tout de fois pouvoir se prononcer sur la cause.  Ils dirigent tout le monde vers l’hôpital le plus proche.  Coraline est reçue dans l’aile psychiatrique pour une évaluation de son état général alors que Carmen fait une déposition des événements dont elle a été témoin aux policiers dépêchés sur les lieux.


⁂ 


     Plusieurs mois plus tard, aucune accusation ne sera portée contre Coraline malgré ses aveux d’un épisode de maltraitance.  L’autopsie menée sur le petit corps n’a démontré aucun lien avec le syndrome de l’enfant secoué.  On conclut donc à une mort subite du nourrisson.  Malgré ce verdict, Coraline ne s’est jamais remise et vit avec une culpabilité qui la ronge toute entière.  Elle est revenue avec sa famille mais demeurera hospitalisée encore longtemps. 

     De son côté, l’infirmière Carmen, n’ayant pu prévenir ce drame malgré son expertise et sa bonne volonté, a démissionné de son poste d’infirmière visiteuse.  Elle se contentera désormais de faire les vaccins antigrippaux aux aînés, un poste où elle ressent moins de responsabilités envers ses patients.  Elle n’arrive pas à vivre avec cet échec sur la conscience.  Elle est convaincue qu’elle aurait pu prévenir le drame en se présentant chez la jeune femme plus tôt.  Elle aurait pu alléger sa journée en l’aidant dans ses démarches et peut-être éviter cette tragédie en lui suggérant de réveiller son bébé pour l’allaitement du matin plutôt que d’égoïstement boucler son horaire de la journée à sa convenance. 

     Mais ça, elle ne le saura jamais. 

i VIAN, Boris. L’écume des jours. Paris : Gallimard, « Mille Soleil », c1955, 245 pages.   

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